Nom véritable | Claire Lafrenière |
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Aussi connue sous | -- |
Naissance | 1956 |
Carrière professionnelle | Depuis 1985 |
La mémoire dit-on est la faculté qui oublie! La chose est peut-être plus vraie au niveau collectif que chez les individus. Du côté de la chanson, paradoxalement, cette amnésie semble s'être aggravée avec l'arrivée des moyens techniques d'enregistrement. Comme si les méthodes de transmission orale qui avaient fait leurs preuves depuis des millénaires avaient été délaissées au profit des supports matériels. Ainsi, par le jeu des rééditions discographiques et les caprices des modes, on en est venu à évacuer une part importante de la création musicale, chaque génération ne conservant qu'une part congrue de ce qui l'avait précédé.
L'arrivée de l'album "Chansons urbaines du Québec 1900-1950", par Claire Lafrenière, sur les tablettes des disquaires, en 2000, a heureusement permis de susciter une certaine curiosité à ce sujet. Avec ses "Chansons actuelles" qui, sept ans plus tard, traitent de sujets sans âge en les habillant d'atours contemporains, l'artiste contribue encore plus fortement à supprimer les écarts générationnels. Certains sujets tels "Le salaire des députés", "Le mortel baiser" ou "L'enfant puni" demeurent d'une criante actualité, un siècle plus tard.
Si elle s'intéresse à la chanson depuis toujours, c'est cependant par le biais du théâtre de marionnettes qu'elle et René Gélinas, son partenaire du duo Claire et René, en viennent à développer un intérêt pour ce répertoire, suite à la découverte d'un modèle portatif d'orgue de Barbarie, au milieu des années quatre-vingt. Ce modèle Célestina, découvert chez le restaurateur d'instruments anciens Alain Vian, va bientôt donner un souffle nouveau au volet musical du duo Claire et René. Pour une simple raison technique de disponibilité des titres sur rouleaux perforés, leur interprétation se concentre d'abord sur le répertoire de la chanson française des années 1900 à 1950.
Intéressé à inclure une partie de création locale à son tour de chant, le duo pousse un peu plus la recherche et découvre un artisan, Doris Couture, qui leur fabrique sur demande quelques rouleaux de chansons québécoises comme "Toujours l'R-100" de Madame Bolduc. Une première production sur cassette audio témoigne de la démarche musicale de Claire et René, à l'été 1992. "La java bleue", "Valse brune" ou "C'est un mauvais garçon" permettent à leurs spectateurs d'apporter un peu de la magie du spectacle chez eux.
Poursuivant en parallèle leurs carrières de marionnettistes (sous le nom de L'Ourson doré) et d'interprètes, ils ajoutent de nouveaux titres à leur répertoire tout en parcourant le Québec et en effectuant quelques séjours en France. Certaines de leurs chansons y trouvent un écho auprès d'une partie de la population pour qui les refrains et leur sonorité évoquent de doux souvenirs. Une nouvelle cassette autoproduite inclut quelques trouvailles comme "La chanson des élections" qui est un timbre ou adaptation sur l'air de "Sous les ponts de Paris".
En 1997, Claire Lafrenière obtient une bourse du Conseil des arts et lettres du Québec qui lui permet d'approfondir sa recherche sur le répertoire québécois de cette période. Elle s'assure la collaboration de Jacques Clairoux, historien et chercheur qui s'intéresse depuis plusieurs années à la documentation sur le répertoire musical. Celui-ci contribue à situer les nombreuses trouvailles dans le contexte de leur création. Le choix de s'attarder à la chanson populaire urbaine, telle que diffusée par le grammophone, la radio et le support imprimé, vise à mettre en évidence un pan encore méconnu dans la mémoire musicale au Québec: celui qui s'insère entre l'époque folklorique et l'arrivée de La Bolduc, soit la naissance de la modernité dans la chanson populaire. On retrouve donc parmi les coups de coeur de l'interprète des noms comme Louis-Joseph Paradis, Aurore Beaulé, Henri-Gaston de Montigny ou Conrad Gauthier, qui furent auteurs ou même interprètes vedettes dans les premières décennies du siècle écoulé.
Malgré l'originalité de l'entreprise, il lui est alors difficile d'intéresser un producteur à son projet et Claire se fait elle-même productrice de disque. Elle enregistre donc une douzaine de ses trouvailles avec une équipe de musiciens chevronnés. Réalisé par Réal Léveillé, pianiste attitré de la chanteuse, le DC "Chansons urbaines du Québec 1900-1950" devenait accessible au public à l'automne 2000. Tout en proposant son répertoire en concert, elle poursuit sa carrière de marionnettiste avec L'Ourson Doré et consacre ses heures de loisirs à approfondir ses recherches ethnologiques.
L'absence d'enregistrements connus, pour plusieurs refrains dont les traces écrites se limitent parfois au texte ou à quelques lignes mélodiques, permet une certaine latitude dans l'interprétation. Claire et ses complices musiciens mettent cette liberté à profit et proposent sur son album suivant "Chansons actuelles" des adaptations aux couleurs rap, reggae ou folk, ce qui accentue encore leur universalité.
Si certains sujets de ces chansons sont clairement marqués dans le temps, tels "Dans l'île du peuple" qui prend le parti de l'accès gratuit au parc de l'Île Sainte-Hélène ou "Le naufrage du Titanic", d'autres n'ont rien perdu de leur acuité. Ainsi, n'était-ce du prix des émouluments mentionnés, le texte de Fleury Delville "Le salaire des députés" pourrait être extrait d'une lettre ouverte à l'un de nos quotidiens. Plus loin, un autre pamphlet du même auteur interpelle ses descendants du vingt et unième à propos du coût de l'énergie dans "Le Gaz à bon marché". On ne saurait trop souligner l'importance d'une telle démarche qui permet de mettre à jour ces chaînons manquants de notre histoire musicale... et de notre histoire tout court.
On peut visiter le site officiel de Claire Lafrenière et de l'Ourson doré.