Un commentaire de Roger T. Drolet
22 novembre 2006 (QIM) – Dire qu'il est plus grand que nature est en deçà de la réalité. Monument de la musique française depuis plus d'un demi-siècle, Michel Legrand arrive à nous illuminer l'esprit avec ses superbes mélodies et ses envolées jazz sans pareilles.
Généralement, Québec Info Musique se concentre sur le répertoire québécois. Que voulez-vous, de nos jours, il faut bien se spécialiser. Mais l'exception confirme la règle et il m'était impossible de passer sous silence le passage à Québec d'un géant dont le travail me trotte dans la tête depuis mon plus jeune âge. Que ce soit par "Les parapluies de Cherbourg", "Les enfants qui pleurent", "Un été 42" ou la très yé-yé "1964". Vous ne connaissez pas très bien ce musicien intemporel? Croyez-vous! Déjà au moins un des quatre titres pré-cités vous ramène probablement, en souvenir noir et blanc, ce fascinant film de Jacques Demy, entièrement chanté, mettant en vedette la sublime Catherine Deneuve à qui Danièle Licari avait prêté sa céleste voix.
Entré par la grande porte du Théâtre Capitole de Québec, ce dimanche 12 novembre, Legrand, magicien des notes, nous fit le plaisir de s'asseoir au piano et de nous défiler pendant deux heures, sans entracte, une cascade d'émotions. Il est naturel, pas prétentieux pour deux sous, se délie les doigts avec un thème jazzy et nous enfile des titres enjôleurs qu'il a tous entièrement créés, précise-t-il au public conquis d'avance.
Flanqué de deux grosses pointures québécoises du jazz, le contrebassiste Michel Donato et le percussionniste Paul Brochu, Legrand reste sobre tout en déversant ses notes, souvent chantées, et ses accords extrêmement actuels malgré un formalisme qui peut rappeler une autre époque. De fréquents clins d'oeil aux célèbres jazzmen, les Duke Ellington, Erroll Garner, Count Basie, Stéphane Grappelli et autres Fats de la voûte céleste musicale, avec qui il a jadis travaillé ou qui l'ont inspiré. Il va même jusqu'à imiter avec sa voix toujours intacte la trompette de son ami défunt, l'immortel Miles Davis dans la pièce intitulée "Dingo Lament".
Bien entendu, c'est l'émotion qui est à l'avant-plan de cette magnifique soirée où les boomers comme les plus jeunes mélomanes ont trouvé leur compte avec éblouissement. Cette grande paix intérieure qui jaillit en nous à l'écoute de grande musique toucha sans doute la totalité des spectateurs en auditionnant "La valse des lilas", "Brian Song", "Le vieux costume" ou "Les moulins de mon coeur", pièces souvent tirées des innombrables films pour lesquels Legrand a signé la musique et ce, autant aux États-Unis qu'en Europe.
Une belle surprise pour plusieurs: l'arrivée sur scène en seconde moitié du concert, de Johanne Blouin, venue ajouter son soupçon d'âme (devrais-je dire soul?) à trois chansons du répertoire du compositeur maintenant âgé de 74 ans. Ma préférée entre toutes ces perles? La très touchante "What Are You Doing the Rest of Your Life", interprétée au fil du temps par tant de grands artistes qui ont, eux aussi, insufflé un surplus d'humanité à l'oeuvre du maître Legrand. Car l'une de ses qualités majeures est sans contredit celle de capturer des mélodies incomparables, capables de chavirer les plus coriaces. Essayez donc l'un de ses nombreux enregistrements, si ce n'est déjà fait; vous entendrez bien!
Grand voyageur, Michel Legrand passera en décembre par New York, pour enregistrer "Legrand Jazz Volume 2", près de 50 ans après le premier tome, en compagnie de grosses pointures comme Herbie Mann, Oscar Peterson, Stevie Wonder et Al Jarreau. Qui dit mieux? Mais ne le manquez surtout pas lors de son prochain passage à Québec en mars 2007.