Une collaboration de Roger T. Drolet
Éonnagata – photo: Érick Labbé
À consulter
11 juin 2009 (QIM) – L'ambiguïté sur le genre sexuel est une source inépuisable d'inspiration et de fascination. De tous temps, l'humain intrigué est obnubilé par les personnages de l'Histoire qui en ont joué. Il n'en fallait pas plus pour enflammer l'imagination de Robert Lepage qui s'est laissé convaincre par les grands artistes Sylvie Guillem (danseuse étoile française) et Russell Maliphant (danseur et chorégraphe anglais né à Ottawa), tous deux du Sadler's Wells London's Dance House, de monter cette improbable expérience où la danse devient vraiment théâtrale et où le théâtre n'a jamais été aussi dansant.
Le prétexte de ce spectacle fabuleusement original est le destin unique et tragique de ce diplomate français, recruté par Louis XV, Charles de Beaumont, dit le Chevalier d'Éon, qui joua sa carrière en espionnant Russes et Britanniques tout en exploitant sa prodigieuse faculté de se travestir en homme ou en femme - qui sait - et à susciter curiosité, envie ou dérision dans son propre pays.
Lorsqu'on dit que tout est dans la manière Lepage, cette oeuvre signée à trois porte, encore une fois, la marque du maître de la scénographie contemporaine qui juxtapose brillamment ici le destin d'un personnage, ambivalent jusqu'à la lie, à la danse contemporaine et à l'univers du théâtre japonais kabuki (Onnagata). Lent et émouvant, le récit mouvementé dure près de 90 minutes sur scène, sans entr'acte.
Peu de mots, simplement quelques mises en situation, histoire de cadrer le jeu pour qui n'aurait pas lu le programme. Quelques accessoires: bâtons, épées, tables, miroir, vêtements, lumière et musique... Trois danseurs, car Lepage est aussi présent sur scène que ses deux acolytes, donnent dans les arts martiaux, les jeux de miroir ou l'humour gestuel tout en devenant alternativement homme ou femme sans jamais caricaturer ni l'un ni l'autre. Perversion, jamais. Dualité, assurément. Recherche identitaire, absolument. Celle qui nous habite tous, inconsciemment ou non, qui nous suit jusqu'à la fin, qui n'est heureusement pas toujours aussi pathétique que celle du Chevalier. Était-il physiquement homme ou femme ou les deux à la fois? Qu'importe. Chacun peut y capter une portion de son être, qu'elle soit masculine ou féminine. Des moments très doux et sensuels, d'autres rythmés nécessitant une grande précision de mouvements, ne nuiront aucunement à l'énorme réputation de ces artistes de grande classe.
À la hauteur des attentes, les éclairages de Michael Hulls, les costumes de Alexander McQueen et la conception sonore de Jean-Sébastien Côté rehaussent le propos et la performance des artistes sur scène et transcendent les époques. Les musique de Bach, Pergolesi et Soler, entre autres, se fondent dans cet univers baroque et pourtant si contemporain. L'avant-garde populaire, c'est ça.
Un triangle artistique réussi, qui fut présenté à Londres, Montréal et Québec dans les dernières semaines à guichet fermé. D'autres prestations, sans doute quelque peu modifiées, sont à venir en cours d'été, notamment en Europe.