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Un autre pionnier nous quitte

Lipsynch – photo: Érick Labbé

Lipsynch – photo: Érick Labbé

10 juin 2011 (QIM) – Ce grand format de Lipsynch, présenté pour la première fois dans cette forme marathon de neuf heures à Québec, est une ode à la vie, un regard intime et lucide sur la nature humaine. Brillamment développée par onze auteurs et créée en 2007, la fresque fait passer les 500 spectateurs rassemblés à l'aréna Patrick-Poulin de la Capitale, ce vendredi 3 juin, par de grands questionnements sur la linéarité de l'existence et les interrelations heureuses ou horribles que les humains développent au fil du temps. C'est bien sûr Robert Lepage qui en a signé la brillante mise en scène

Neuf vies en neuf actes, dont les instants décisifs vacillent entre le drame et la drôlerie qu'elles comportent, se croisent et interagissent parfois les unes sur les autres. C'est à travers la voix humaine dans tous ses états que les émotions se propagent. De la vie à la mort, sur plusieurs continents et dans quatre langues (français, anglais, allemand et espagnol, avec traductions projetées sur scène) et plusieurs continents que des hommes et des femmes qui en rencontrent d'autres qui changent leurs vies pour le meilleur ou pour le pire.

Nous sommes dans cette carlingue d'avion en vol entre Frankfort et Montréal, où une femme meurt laissant un enfant orphelin. Celui-ci sera bientôt adopté par une chanteuse d'opéra qui enquêtera pour savoir qui est cette malheureuse mais ne dira pas tout à son fils. L'artiste rencontre un neurochirurgien avec qui elle partage sa vie. Celui-ci devra opérer une chanteuse de jazz, atteinte d'un cancer du cerveau. Le fils adopté, devenu cinéaste, tourne son premier film qu'il veut autobiographique (l'un des tableaux les plus hilarants). La pute qui retrouve son frère incestueux, devenu lecteur de nouvelles à la BBC. Un technicien du son se rend enterrer son père en Espagne. Le détective que sa femme vient de laisser enquêtant sur la mort du narrateur de la radio. La soeur psychiatrisée de la chanteuse de jazz qui, de retour en société, travaille dans une bouquinerie et partage son amour des mots et des idées. Une jeune fille sud-américaine qui est vendue pour la prostitution en Allemagne. Vous me suivez toujours? J'avoue que c'est une mission impossible que de tenter de résumer, en 164 mots, ce que cette oeuvre déploie de situations inextricables devant nos yeux.

Tout au long de son déroulement, avec très peu de temps faibles, la distribution composée de neufs comédiens de générations et d'origines diverses exploitent leur talent au maximum en utilisant leurs voix et leurs corps dans toutes leurs nuances pour personnifier pas moins de cent cinquante rôles en cours de prestation!

Mais il y a aussi la scénographie incroyable, la musique interprétée live ou enregistrée qui souligne certains instants particuliers, les poèmes, les décors se métamorphosant sous nos yeux, les projections vidéo, les costumes et maquillages qui font croire que tout cela est possible. L'une des images les plus fortes est sans doute celle où le médecin explique à sa patiente la coïncidence magistrale existant entre la forme du cerveau humain et celle du nuage portant Dieu, qu'on peut voir dans la Création de l'homme de Michel-Ange, au plafond de la chapelle Sixtine du Vatican.

Bien entendu, durant ce marathon vertigineux, une équipe technique de très grand calibre opère avec une précision sans faille devant les yeux rivés de l'auditoire sans aucun accroc.

La salle s'est remplie et vidée plusieurs fois lors des cinq entractes de la journée même s'il faut bien admettre que la température y était sans doute un peu élevée. Petit inconvénient pour avoir le privilège de vivre ce grand moment théâtral.

Cette formidable leçon de dramaturgie et d'inventivité servie par cette équipe exceptionnelle, rejointe au salut final par Lepage, peu avant 22 h, fut bruyamment acclamée par les spectateurs ravis du 12e Carrefour international de théâtre.