Un commentaire de Richard Baillargeon
27 septembre 2013 (QIM) – Il y a plusieurs mondes qui s'entrechoquent dans le docu-fiction historique La Maison du pêcheur, à l'affiche dans plusieurs cinémas du Québec depuis la mi-septembre. Pour ma part je me suis rendu au Clap à quelques jours de la première, loin des 'kodaks' et des tapis rouge, histoire de me plonger dans l'histoire, en noir et blanc comme l'a voulue le réalisateur Alain Chartrand. On peut dire que celui-ci a réussi à y rendre les oppositions superposées qui se concentraient cet été-là (1969) à Percé: jeunes hippies vs adultes straights, idéalistes urbains face à la population locale aux prises avec les « vrais problèmes », révolutionnaires et tenants du statu quo, en une période de tensions qui allaient déboucher sur une des crises majeures du Cana-bec à l'automne 1970.
Outre les 97 minutes qui se déroulent sur l'écran, un segment de l'assistance (disons les gens de plus de 55 ans) y trouvent une partie de leurs souvenirs, qui peuvent osciller entre l'inquiétude (voire le cauchemar) et l'exaltation, selon le point de vue et l'obédience de chacun. Pour les plus jeunes, ce sera l'occasion de satisfaire partiellement leur curiosité. Je n'entrerai pas dans le débat, chacun peut élaborer le sien. Le film ferait d'ailleurs une excellente amorce de discussion pour une séance de ciné-club...
Comme les images, rien n'y est tout noir ni tout blanc, mais se décline plutôt en diverses nuances de gris. Même les quatre protagonistes, qui seront connus plus tard dans un contexte beaucoup plus tranché, n'y sont pas faits d'un seul bloc, certains étant plus idéalistes (le plan initial aurait pu donner lieu à d'autres initiatives comme une Maison du mineur, un Maison du Bûcheron, etc.), tel autre plus impatient, avec le danger, comme l'envisage un des pêcheurs du coin, de « risquer de vous mettre à dos ceux que vous voulez convaincre ». Là est sans doute le coeur du sujet. Un risque toujours présent si on en juge par l'actualité récente!
Mais qui dit voyage dans le temps, surtout dans le cadre du site Québec Info Musique, porte nécessairement une attention spéciale à la toile musicale de fond, toile qui était particulièrement présente à cette époque: l'été 1969 est aussi celui de Woodstock, quelques mois plus tôt avait jailli chez nous le feu d'artifice de l'Osstidcho, alors que d'autres ménestrels repartaient sur les chemins du vaste monde entre deux 45 tours!
Il y a beaucoup de cette jeunesse errante dans la 'tribu' dérangeante qui s'installe aux abords de la dite Maison et qui festoie toute la nuit ou presque, au grand dam des moteliers voisins qui y trouvent fatalement quelque raison de s'inquiéter pour leur clientèle. La scène où un Luc Picard en contre-emploi fracasse le juke-box y est un symbole éloquent. Ce juke-box qui pouvait diffuser "Québécois" ou "Dock Of The Bay" et auquel répond le chanteur du quai en proposant ses relectures de "Blowin' In The Wind", "Comme un million de gens" ou "Lindberg". On y entend même un bout de chanson de Plume Latraverse, qui fréquentait parfois les quais à cette époque. Le personnage du « hippie chantant » n'est toutefois pas un alter ego de ce dernier, bien que l'été 1969 ait été aussi un ferment qui allait engendrer La Sainte Trinité, groupe où Plume allait sévir à quelque temps de là.
Que la trame en soit romancée, cela est dans la nature d'un cinéma « tiré de l'histoire » mais ne pouvant prétendre réécrire cette dernière. Le scénario proposé devrait d'ailleurs être considéré comme une amorce à la réflexion et non un point final à cet épisode, épisode qu'il contribue tout de même à extirper du folklore. Et parlant de folklore, je donnerais une étoile au responsable de la distribution pour le choix de Jocelyn Bérubé dans le rôle du légendaire capitaine Ti-Loup (Séverin Langlois) dont le souvenir hante encore la bohème gaspésienne!