Un commentaire de Roger T. Drolet
ASA – photo: FÉQ
19 juillet 2011 (QIM) – Depuis des années, pour moi qui suis natif de Québec, je cède à une tentation irrésistible de ma balader sur les principaux sites du Festival dans le but de me laisser gagner par les prestations à ciel ouvert des artistes que je choisis de fréquenter.
La stratégie consiste à prendre connaissance de la programmation et, selon les aléas des horaires, grimper en Haute-Ville et m'insérer dans cette mouvance humaine en pointant vers les lieux qui, je le souhaite toujours, me donneront la chair de poule.
Parfois, je serai placé en terrain connu, par l'artiste ou le répertoire présenté. Autrement, je foncerai vers la découverte que la rumeur m'aura permis de repérer. Pour diverses raisons, mes états d'âme du moment y compris, je me laisse transporter par la musique et, dans plusieurs cas, le voyage est mémorable. Voici donc, en bref, mes rencontres de l'édition 2011 du FÉQ.
Soirée d'ouverture: Paris-Québec. L'idée d'un grand spectacle réunissant des chanteurs des deux côtés de l'Atlantique a le mérite d'attirer des spectateurs qui aiment différents aspects de la chanson francophone et de donner une bonne visibilité à celle-ci. L'inconvénient est qu'il s'agit d'un fourre-tout inégal donnant la sensation indélébile d'être produit pour la télévision. Cette année, les Cabrel, Boulay, Coeur de Pirate, Dufresne, Charlebois et consorts ne parviennent que difficilement à créer un rythme à la soirée et ce n'est pas nécessairement leur faute. Heureusement, quelques artistes moins connus assaisonnent agréablement le plat: Nicoletta, la Française dont la voix et le soul m'hypnotisent depuis toujours, Hélène Ségara, Nolwenn Leroy, Khaled et Yann Perreau ont, quand à moi, rehaussé l'ensemble. J'avoue toutefois avoir quitté en douce pour aller rejoindre la somptueuse ASA, à Place d'Youville.
Je connaissais un peu cette jeune Nigériane par sa voix incroyablement souple et poignante entendue à la radio et immédiatement son âme a connecté à la mienne. Alors quand je réalisai qu'elle était en performance à Place D'Youville le 7 juillet, je ne devais pas la manquer. Quelle belle surprise de voir l'Africaine à lunettes dont tout le corps tout entier devient musique et dont les interprétations, parfois soul parfois plus intimistes, sont toujours empreintes d'une émotion à fleur de peau. Avec un band très serré qui l'appuie infailliblement, c'est du bonbon. Malheureusement, je n'ai vu que la dernière demi-heure de la prestation et je le déplore vivement. ASA est MA révélation absolue de ce festival.
Ma visite suivante sur les sites de l'événement eut lieu le mardi 12 juillet, à la Place de la Francophonie, juste derrière le Parlement. Martha Wainwright. Seule avec sa guitare, la soeur de Rufus ne s'est pas trop fait prier pour nous servir dans son style particulier des compositions dont certaines ne seraient pas encore disponibles. Un peu difficile tout de même de meubler une telle scène toute seule (où étaient ses musiciens?) au coeur d'un événement festif extérieur! Les fans sont très attentifs mais les autres « curieux » le sont un peu moins. On sentit même un peu l'improvisation lorsque tante Anna, membre émérite de la célèbre famille McGarrigle-Wainwright arrive sur les planches pour interpréter deux titres avec la nièce: "Cheminant à la ville" et "Entre Lajeunesse et la sagesse", jadis chantée en duo avec la maman de Martha, Kate, décédée récemment.
Cette prestation se voulait un prélude à celle d'une figure sexagénaire emblématique de la scène britannique, Marianne Faithfull, à laquelle nous n'avons pas assisté.
Un petit déplacement à la Place d'Youville, pour un bain de sonorités ensoleillées vraiment hors du commun. Afrocubism, sorte de supergroupe composé de Maliens et de Cubains, né d'une rencontre improbable entre Toumani Diabate et d'Eliades Ochoa, en Hollande. Album et tournées confirment l'originalité de l'étincellante fusion musicale, métissage entre la forme plus rigide de la musique cubaine et le sens inné de l'impro africaine.
Des arrangements impeccables, un spectacle éblouissant de 90 minutes bien compactes dans lequel on ne s'ennuie pas une seconde. La danse est indéniablement la compagne rêvée de cette musique tellement chaude...
Trois jours plus tard, je me retrouvais à nouveau au coeur de cette foule joyeuse, juste devant le Palais Montcalm pour voir et entendre le grand-papa de la soul africaine nommé Manu Dibango. Ce nomade Camerounais qui nous a complètement hypnotisé dès 1972 avec ce succès colossal qu'est Soul Makossa a poursuivi sa route partout où la musique le conduisit, y compris au Québec, dont il est un habitué. Je ne pouvais pas rester bien longtemps pour l'entendre à cause d'un autre rendez-vous mais je dois avouer que je suis resté sur mon appétit durant les 30 minutes où Dibango et son band ont sévi. Peut-être à cause du jeu relativement standard de ses accompagnateurs, je me serais attendu à plus de consistance. Mais sans doute ai-je manqué le meilleur...
Quelques minutes de marche en direction de la scène principale sur les Plaines d'Abraham et je me retrouvai dans l'univers de Jean-Pierre Ferland, autre patriarche de la chanson québécoise qui, malgré l'annonce de sa retraite de la scène, ne semble pas trop se faire tirer l'oreille pour monter sur les planches.
On avait fortement insisté sur le fait que JP allait refaire intégralement le disque "Jaune", symbole du virage musical du Québec de 1970. Ce qui fut fait fort adroitement, avec de très légers ajustements aux orchestrations. Quelques mots d'esprit se glissaient élégamment ça et là en transition à la succession de grandes chansons qui ont meublé par la suite la prestation d'environ 1 h 30. Quelques surprises dont l'apparition d'un choeur de trente enfants pour "Le chat du café des artistes", des duos avec Marième et Éric Lapointe et même un hommage au collègue disparu Clo-Clo lors de l'interprétation touchante de "Le rendez-vous" signée Léveillée-Vigneault. Non sans rappeler qu'il avait foulé la scène des Plaines à plusieurs reprises dans le passé, dont lors du mémorable 1 fois 5 (avec Léveillée, Vigneault, Deschamps et Charlebois, en 1976), Ferland se permit même de nous glisser avec une bouille coquine sa mémorable "Une chance qu'on s'a" en précisant qu'elle serait prochainement endisquée par Céline Dion. « Ça j'aime ça » dit-il en s'amusant. Musiciens, mis en scène et interprétations irréprochables de Ferland. On lui pardonne aisément sa rechute même s'il aurait été intéressant de lui entendre créditer les compositeurs qui l'on aidé à mettre au monde certaines de ses superbes chansons. C'est le poème sarcastique l'Assassin mondain, livré seul en scène, qui sonna le glas du concert fort goûté d'un public visiblement heureux.
Beau temps, belle programmation que ceux du FÉQ 2011. On attendra avec impatience, la 45e édition l'été prochain.