Errances et commentaires par Richard Baillargeon
9 juillet 2003 (QIM) - Comme bien des gens, j'aime à me faire surprendre par le contenu du Festival d'été de Québec. On lui accole depuis un certain nombre d'années, et avec raison, le qualificatif d'international mais au coeur et à l'esprit de nombreux festivaliers, il demeure avant tout une célébration de la ville. Une célébration toute en musique, en couleurs et en surprises au gré de ses visiteurs, de ses rues et des scènes dressées temporairement au coeur d'espaces verts ou de la célèbre Place d'Youville, jamais loin des fameux remparts de la cité de Champlain. Aussi, comme plusieurs de ses habitués, vais-je rarement me rendre à un spectacle de façon préméditée: je vais au Festival avant tout.
Cette année encore, les trois scènes à aire ouverte se voient compléter par quelques endroits plus intimes où des expériences différentes sont possibles. J'ai raté de peu la fameuse soirée C'est extra, une initiative née dans la Métropole, mais qui apporte une note de fraîche nostalgie. Ce sera pour une autre année, peut-être! À deux pas de là, le groupe The Derailers, un véritable orchestre de country-rock façon Austin (il y a aussi des attraits au Lone Star State) assurait, avec brio dit-on, la première partie de Rosanne Cash. Le lendemain après-midi j'étais sur place pour la reprise, assumant une certaine boulimie pour les sonorités allant du plus pur country électrique (200 % proof, minimum) aux intonations merseybeat et à la respectueuse parenthèse gospel. Cette fois, je me suis laissé prendre: pas la moindre envie de quitter le site de tant de jouissance auditive. Les bravos ne doivent pas aller seulement aux musiciens: il faut souligner le travail de l'équipe technique qui a su respecter la beauté sonore sans succomber à la tentation du volume à tout prix. Quand une prestation rejoint notre fibre musicale, pas besoin de se la faire entrer dans les oreilles sous pression!
Chemin faisant, je croise les étranges funambules de Friches, cavalières aux visages exsangues, façon Versailles du Grand siècle, juchées sur échasses et prenant d'assaut les abords de la ville. Mais déjà les premières figures de la proposition Nouveaux horizons se sont livrées à la foule. Après Yann Perreau et Antoine Gratton, c'est au tour de Martin Léon, armé de son porte-voix, de se livrer à cette soirée rythme et atmosphères où les sons de la guitare, du violoncelle et du lapsteel viennent se mélanger dans une évocation de couchers de soleil. Suivra Dumas dont la combinaison habilement dosée de guitare et d'électronica ramène en surface les bribes d'explorations surf ou de space rock rappelant le vieux Floyd qu'une grande partie du public a eu le temps d'oublier.
Alors que le duo des Rita Mitsouko prend place (c'est le cas de le dire, il ne reste plus un centimètre carré de disponible au Parc de la Francophonie), de l'autre côté de la Grande-Allée, derrière le Manège, la chanteuse Natasha St-Pier surprend par la diversité de son choix d'interprétation. Il est tonifiant d'entendre la sage jeune femme s'approprier avec toute la conviction nécessaire les "Promenade sur Mars" et "Câline de blues" d'Offenbach, au milieu de ses refrains habituels. Cadeau à ses fans, elle propose une primeur "Quand on cherche l'amour" qui sera du prochain album. Retour aux interprétations de ses chansons favorites: il est plutôt sympathique de savoir que "I'm A Believer" compte parmi ses préférées. L'abondance de tels coups de coeur peut toutefois avoir un effet collatéral pervers: celui de reléguer ses propres refrains au second plan. En passant à nouveau devant la scène de l'ancien Pigeonnier, on ne peut que constater la dominance absolue des Rita. N'eut été de la confirmation tardive, ces artistes auraient sûrement rempli les Plaines. Toutefois, le débordement dans les espaces et rues environnantes n'est pas sans charme. Je ne peux réprimer un souvenir semblable lors de l'édition précédente du festival. Rachid Taha et ses fans y avaient littéralement débordé sur le décor de la colline parlementaire.
Lundi moins riche en émotions, la journée permet tout de même de constater l'habileté d'un Steve Diamond qui va de l'adaptation d'airs classiques à une personnification d'Ozzy Osbourne mais peut aussi s'entourer d'amis comme Boom Desjardins ou Marie Michèle Desrosiers. Mentionnons surtout la durable audace du Gala ça m'chante qui en est à sa septième édition et qui aura permis encore une fois à dix jeunes auteurs de se voir interprétés et mis en musique par autant d'artistes. Jean-François Breau, Dany Bédar, Marc Déry, Lulu Hughes, Martin Léon, Longue Distance, Annie Major-Matte, Ariane Moffatt, les frères Painchaud et Yann Perreau sont les voix qui ont fait entendre cette année les chansons des finalistes sur la Première chaîne de la SRC.
La dimension internationale était tout spécialement à l'honneur ce mardi. Un internationalisme qui dépasse depuis plusieurs années le triangle classique France-Afrique-USA. En cette journée ensoleillée marquée d'un rapide orage tropical à l'heure du souper, outre les artistes d'ici ce sont autant la Belgique, l'Australie, Cuba et l'Italie qui se partagent les scènes de l'événement. L'après-midi est particulièrement douloureux pour votre serviteur qui se voit tout écartelé entre le lancement de la Belge Maurane qui profitait d'un petit saut au Québec pour nous présenter "Quand l'humain danse" et la présence au même moment, pour un seul et unique spectacle, de la native de Saskatchewan Buffy Sainte-Marie. Retards et proximité aidant, je puis vous causer un peu des deux: un généreux alignement où les sonorités acoustiques et électro, blues, espagnoles ou moyen-orientales se marient à la ballade ou au semi-classique dans 16 titres (dont un écrit par le tandem Louise Forestier - Daniel Lavoie) dans le cas de la première; une présence pétillante où l'inspiration inattendue d'Elvis (la chanson "Since My Baby's Been Gone Away" est une proche cousine de "That's All Right Mama" et sans doute un clin d'oeil à celui qui a mené un des titres de Buffy dans le Top 40 américain en 1972) côtoie les propos plus graves et les traces de tradition amérindienne pour ce qui est de la seconde.
Pour terminer ces errances urbaines, allons entendre les Riccardo Tesi et Spaccanapoli: le temps d'ouvrir l'oreille, nous étions tous Italiens! Un petit saut sur les Plaines où Mélanie Renaud prouve définitivement qu'elle a été touchée par l'esprit de la musique Soul; une brève halte pour deux ou trois chansons des Waifs suffit à rappeler que les archétypes du rock et de ses dérivés sont universels; mais la vraie raison de cette hâte est la présence de la formation cubaine Sierra Maestra qui me retiendra finalement pendant une bonne heure à Place d'Youville, suffisamment pour me faire rater la si rare visite du Montréal Jubilation Choir entre nos murs. On ne peut pas tout voir, c'est évident!
Peut-être nous croiserons-nous au cours des journées restantes: il y a encore de nombreuses découvertes ou retrouvailles à faire. Jacques Brel et Pauline Julien seront ramenés à tout de rôle sous les projecteurs pour une soirée unique. Philippe Lafontaine, Colectivo, Nicola Ciccone, Billy Bragg, Polémil Bazar, Lo'Jo, Papillon, Les Vulgaires Machins ou le vétéran Andre Williams s'ajouteront aux invités déjà mentionnés au cours des prochains jours. Ah oui, il y a aussi le soleil qui est de la fête; n'oubliez pas votre chapeau!