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Dracula: Une expérience contemporaine signée Bruno Pelletier

Un commentaire de Richard Baillargeon et Roger T. Drolet

7 juin 2006 (QIM) – Soyons clairs: "Dracula - Entre la vie et la mort" traite avant tout du déchirement intérieur des personnages en présence, et non pas des déversements d'hémoglobine généralement associés au style horreur-ketchup. Même les décors, très inventifs, ne font référence que de loin à l'univers gothique. Le prince des ténèbres, le Comte Vladimir Wallachia dit Dracula, naquit de la plume de Bram Stoker un écrivain irlandais qui vécut dans la seconde moitié du 19e siècle et sa représentation esthétique varia beaucoup avec le temps. Le personnage fantastique était en phase avec son temps puisque la Grande-Bretagne de la fin du XIXe siècle vivait dans un climat de terreur et de tabous. L'époque victorienne voyait sa dignité et sa prestance ébranlées par les meurtres de prostituées commis par le trop célèbre Jack l'éventreur. Le spectacle qui nous est actuellement proposé au Grand-Théâtre de Québec pour une série de représentations est inspiré du roman mais se transpose au XXIe siècle sans anachronisme, car c’est aussi et surtout la folie de l’homme obsédé par ses passions, au point de ne plus comprendre la différence entre le bien et le mal, qui le mènera à l’assassinat et au vampirisme.

Cette grande production c’est assurément le défi de Bruno Pelletier qui s’est investi complètement dans l’aventure. Alors disons-le d’emblée: mission accomplie. Et la tâche était assez colossale pour celui qui a une carrière fort bien remplie au cours de laquelle il a notamment incarné Johnny Rockfort dans "Starmania" et Gringoire dans "Notre-Dame de Paris". Mais un spectacle réussi, c’est au départ un amalgame efficace dosant la qualité des oeuvres interprétées, la crédibilité de ses interprètes, une mise en scène alerte et des conditions techniques adéquates mettant en évidence le contenu et quelquefois, le message. Ici, on pourrait résumer le tout en parlant de difficulté d’aimer.

Sur scène, 14 personnes dont les interprètes principaux (Andrée Watters, Sylvain Cossette, Gabrielle Destroismaisons, Daniel Boucher et Pierre Flynn) entourant Pelletier, se présentent avec beaucoup d’aplomb dans cet univers un peu glauque où on ne sait trop qui fait le bien et qui fait le mal. C’est sans doute là la faiblesse majeure de cette grande production. Avec, peut-être, le fait que la plus grande partie de la trame sonore ne soit pas interprétée par de vrais musiciens mais préenregistrée. Heureusement le guitariste Dan Mongrain et le pianiste Jean-François Groulx viennent soutenir la trame dramatique en accompagnant les chanteurs par de vibrants solos à certains moments choisis.

La complexité du message de cette épopée ne gêne probablement pas la majorité des spectateurs puisqu’il s’agit d’une évocation d’une légende qui fascine toujours, surtout pour son aspect diabolique. La musique de Simon Leclerc, fort variée dans ses formes, savamment orchestrée, est une réussite. Les paroles de Roger Tabra sont assez noires pour faire réfléchir, assez lumineuses pour faire surgir l’espoir et montrer que tout n’est pas que ténèbres. Les éclairages, les aspects high-tech de la prod éblouissent et sont parfaitement enchaînés. La mis en scène de Gregory Hilady et Erick Villeneuve est brillante mais jamais grandiloquente.

Vraiment, on peut affirmer que Bruno Pelletier a relevé le défi de créer un spectacle qui marie les traditions américaine et francophone de la comédie musicale et on ne peut en aucun cas lui reprocher de plagier qui que ce soit. Dracula Pelletier fera sa place dans la mémoire collective musicale du Québec. Souhaitons que Paris, New York et Londres sauront aussi se laisser conquérir.