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Quand la parole est vecteur de mémoire

Un commentaire de Richard Baillargeon et Roger T. Drolet

Le Moulin à paroles

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Le Moulin à Paroles

14 septembre 2009 (QIM) – Si l'anniversaire de la ville de Québec, l'an dernier, a été avant tout festif et que les férus d'histoire sont parfois demeurés sur leur appétit, il en aura été autrement de la commémoration de la soi-disant perte de la Nouvelle-France sur les Plaine d'Abraham il y a 250 ans. Précisons d'abord que l'importance de cette bataille, eut-elle vu une victoire des troupes françaises et des milices canadiennes, est contestée chez plusieurs historiens, le gros de l'affaire ayant été réglé quatre ans plus tard, suite à de sinueuses tractations. Mais, l'événement ayant fait date dans les manuels, il a pris une dimension symbolique capitale.

Les controverses entourant une première forme de commémoration, de type grand jeu, et son annulation ont eu comme effet de susciter une autre forme de commémoration, le fameux Moulin à paroles, de 15 h à 15 h, les samedi et dimanche 12 et 13 septembre dernier, au kiosque Edwin-Bélanger. Celui-ci s'est avéré, n'en déplaise à certains médias et à ceux qui ont la fibre identitaire un peu frileuse, un événement positif et mémorable.

Plus que la bataille datée et militaire de 1759, on y a rappelé le séculaire combat de l'identité qui s'en est suivi, par textes interposés. Un combat jamais définitif mais qui a tout de même vu son lot de victoires, ce qu'on a souvent tendance à oublier. Pour cette performance fort médiatisée, 100 orateurs et près de 150 textes avaient été retenus. Quelques personnes ont même préféré se retirer, prétextant ne pas vouloir être associées à la saveur souverainiste que la commémoration semblait revêtir, aux yeux de ses détracteurs.

Pour avoir effectué quelques visites sur les lieux du Moulin à paroles à des moments forts différents, nous avons pu constater la constance de l'intérêt du contenu: qu'il s'agisse de témoignages tirés des mémoires de personnages historiques (Cartier, Champlain, De Lorimier, Lord Durham, Honoré Mercier, Jean Lesage, René Lévesque, etc.), d'extraits d'oeuvres littéraires (Émile Nelligan, Germaine Guèvremont, Jean Narrache, Gabrielle Roy, Roger Lemelin, Gaston Miron, Michel Tremblay et plusieurs autres), d'oeuvres pamphlétaires (Arthur Buies, Michèle Lalonde ou les manifestes du Refus Global et du FLQ) et d'ouvrages pratiques (on reste pantois devant la pertinence des préfaces de La flore laurentienne ou de L'Encyclopédie de la cuisine de Jehanne Benoit, dont le propos dépasse magnifiquement leur sujet respectif). Bref, les absents ont eu tort et se sont privés d'un contenu fort intéressant et d'une expérience qui fera date.

Réunis en douze chapitres, les textes faisaient passer l'auditeur de la mémoire amusée (discours du cardinal Villeneuve) à la gorge nouée (missive de John Winslow, officier des troupes anglaises à Grand-Pré) en passant par la pure découverte (Pierre Morency ouvrant le Moulin en citant la préface de La flore laurentienne).

La chanson étant aussi faite de texte, elle y trouva humblement sa place, souvent a cappella. Quelques moments chantés furent notables: les premières notes firent émises au cours de la première heure, par un chant wendat et une complainte de coureurs des bois servie par Michel Faubert. Les airs fort connus "Un canadien errant" par Paul Piché, "Marie Calumet" puis "Les raftmen" à la façon d'Yves Lambert et "Ça va v'nir découragez-vous pas" par les Zapartistes sont quelques-unes des mélodies entendues.

D'autres ont préféré s'en tenir à la lecture de pièces choisies, tels Luck Mervil et le choix si critiqué du manifeste du FLQ diffusé lors des événements d'octobre 1970, Nathalie Lessard se mesurant à Claude Gauvreau, J-Kill du groupe Muzion qui a rendu un Speak White questionnant différemment le XXIe siècle qu'il ne le faisait dans le contexte de sa création par Michèle Lalonde en février 1970 ou Thomas Hellman qui lut plutôt un extrait de Visions of Gérard de Jack Kérouac, rappelant la dimension continentale de la Nouvelle-France, avant ou après 1759, tout comme le soulignait la reprise de "Réveille" par Isabelle Cyr.

Les prestations du 2e cycle ayant terminé vers 13 h 30, le public qui se faisait encore plus nombreux par ce beau dimanche après midi que la veille, soit plusieurs milliers contre à peine une trentaine aux heures humides du matin, eut droit à une sorte de résumé en rappel, incluant lecture du manifeste du Refus Global par une de ses cosignataires visiblement émue, Françoise Sullivan. Le tout se terminait aussi par une chanson, à 15 h pile, tous les participants fredonnant le « Jamais je ne t'oublierai » de "À la claire fontaine" en comptant, pour une rare fois, sur la voix de Chantal Renaud, épouse de l'ex-premier-ministre Bernard Landry.

Techniquement, la sobriété fut de mise mais la beauté des lieux et le temps généralement clément ont permis aux spectateurs de ne pas être incommodés et de se brancher sur les voix et les mots en toute correspondance avec l'Histoire du Québec français.